Dimanche soir s’achevait le 31ème Festival du Film Américain de Deauville, mettant fin à dix jours aussi intenses que passionnants dont nous avons encore du mal à nous remettre. Il a fait très chaud toute la semaine, il y avait beaucoup de monde et beaucoup d'attente. Heureusement, la sélection était de qualité et nous a ravies par sa diversité. Le jury a très justement couronné le formidable Collision de Paul Haggis, qui avait déjà suscité un enthousiasme palpable lors de sa projection dans la grande salle du CID le lundi 5 septembre au matin. On s’attendait plus ou moins à ce que le film soit récompensé d’une manière ou d’une autre, et ce qui devait arriver arriva. Tant mieux. Les Prix du Jury, attribués ex-aequo à On the Outs de Lori Silverbush et Michael Skolnik et Keane de Lodge H. Kerrigan, deux films désespérés et très ancrés dans le réel, ne surprennent pas vraiment non plus. Le haut du palmarès fait la part belle aux œuvres extrêmement sombres, et il faut se tourner vers le prix du scénario pour se remonter un peu le moral avec le très sympathique et original Transamerica de Duncan Tucker, même si nous aurions bien vu Brick de Rian Johnson dans cette case. Enfin, une excellente façon de prendre la température du public consiste à jeter un œil au Prix Première du Public, et l’on n’est pas déçu une fois de plus puisque c’est le réjouissant, revigorant, désopilant Reefer Madness de Andy Fickman qui remporte les suffrages des spectateurs.
Christian Campbell et Neve Campbell dans REEFER MADNESS
S'il faut retenir des thèmes récurrents de la sélection de ce 31e festival, qu'il s'agisse des films en compétition ou de ceux présentés en avant-première, le premier qui vient à l'esprit est certainement la paternité. Dans le magnifique Elizabethtown de Cameron Crowe, un jeune homme doit faire le deuil d'un père qu'il n'a finalement pas si bien connu, thématique classique mais traitée avec originalité. Le père est en apparence bien présent dans Forty Shades of Blue de Ira Sachs mais en réalité désespérément absent, sous le regard lourd de reproches de son fils qui l'insulte d'ailleurs ouvertement en public. Dans Everything is Illuminated de Liev Schreiber, c'est le grand-père qui prend temporairement la place du père et transmet un héritage historique à son petit-fils. Autant de figures paternelles traditionnelles dont le rôle consiste essentiellement à servir de modèle sans intervenir dans l'éducation concrète de l'enfant. Cependant, d'autres films revendiquent cette année une autre image du père, plus diversifiée. Tandis que Don Johnston dans Broken Flowers recherche un fils potentiel, Keane et An Unfinished Life mettent en scène des pères qui ont perdu leur enfant et qui nouent une relation avec celui de quelqu'un d'autre, introduisant l'idée d'instinct paternel. Sans être malmenée, la figure maternelle est dans les deux cas légèrement démystifiée, ou du moins son rôle est-il nuancé puisque les mères doivent s'accrocher afin de pourvoir aux ressources financières de leur enfant en passant un peu moins de temps avec celui-ci. Le cinéma indépendant nous offre aussi des modes de relations plus dérangeants ou inédits. Ainsi, The Ballad of Jack and Rose de Rebecca Miller met en scène des relations père / fille ambiguës voire malsaines, tandis que Transamerica introduit définitivement la confusion entre père et mère à travers le personnage du père transsexuel se trouvant donc dans une position de mère de substitution pour son fils. Le père revient dans le cinéma US, et les rôles respectifs attribués à chaque parent sont en pleine (r)évolution.
Bill Murray dans BROKEN FLOWERS
Autre thème récurrent: la drogue. La comédie musicale Reefer Madness aborde les mythes qui circulaient sur le cannabis dans les années trente avec un humour décapant. Brick arbore une forme stylisée et montre les dessous des quartiers riches à travers une sombre histoire de drogue entre lycéens. Au contraire, On the Outs gomme tout effet de style et adopte un ton ultra réaliste dans sa description des quartiers pauvres de la banlieue de New York où des mères désespérées se réfugient dans le crack. De même, le jeune garçon paumé de Transamerica ne parvient pas à décrocher de la drogue et de la prostitution.
Ce 31e Festival fut aussi l'occasion de découvrir différentes facettes et différentes régions de l'Amérique. Il y avait la vie citadine avec la fascinante ville de Los Angeles (Collision, Rize) ou les tristes banlieues pauvres de New York (On the Outs). L'on pouvait aussi faire une escale dans le ranch de Robert Redford dans An Unfinished Life de Lasse Hallström, faire une ballade au Kentucky en compagnie d'Orlando Bloom (Elizabethtown), ou traverser le pays de New York à Los Angeles comme dans Transamerica. Une Amérique pleine de contrastes et de richesses, tiraillée entre ses influences culturelles multiples et ses tensions entre communautés, son ouverture vers de nouveaux modes de vie et de pensée et son conservatisme. Une Amérique passionnante.
Notre palmarès personnel pourrait se résumer ainsi.
Coup de cœur absolu du festival : Elizabethtown de Cameron Crowe, véritable bijou incandescent dont le charme mélancolique n’a pas fini de nous faire rêver…Vive le Kentucky !
Nous ont vraiment emballées : Collision (Paul Haggis), Brick (Rian Johnson), Mary (Abel Ferrara), Reefer Madness (Andy Fickman).
Orlando Bloom et Kirsten Dunst dans ELIZABETHTOWN
Nous ont séduites : Corpse Bride (Tim Burton & Mike Johnson), Transamerica (Duncan Tucker), On the Outs (Lori Silverbush & Michael Skolnik), An Unfinished Life (Lasse Hallström), Broken Flowers (Jim Jarmusch), Lonesome Jim (Steve Buscemi).
Nous ont déçues : Keane (Lodge H. Kerrigan), Forty Shades of Blue, deux films dont les bonnes intentions n’ont pas réussi à nous convaincre malgré quelques beaux moments.
Nous ont fortement déplu : The 40 Year Old Virgin (Judd Apatow), Pretty Persuasion (Marcos Siega).
Joseph Gordon-Levitt dans BRICK
Nous en débattons toujours : Everything is illuminated (Liev Schreiber) : Elodie est séduite et Caroline mitigée ; The Ballad of Jack and Rose (Rebecca Miller) : c’est l’inverse ; le documentaire Rize de David LaChapelle : “sympathique” (Elodie) ou “franchement soporifique” (Caroline)…
Le moment fort du festival : Vendredi 9 septembre, l'émotion de Forest Whitaker face à l'hommage qui lui a été rendu par Alain Corneau et à la standing ovation que le public du festival lui a réservé.
Ils vont nous manquer : Joseph Gordon-Levitt et son français aussi délicieux qu’impeccable ; le Big Apple Bar et ses cocktails au calvados en compagnie de nos trois confrères (ils se reconnaîtront) ; le grognement rituel d’appel aux applaudissements du chauffeur de salle improvisé accro du CID (merci pour la bouteille d’eau avant Elizabethtown mercredi soir !) ; les blagues charmantes des contrôleurs de sécurité ; les bataillons de moustiques et de taons affamés…
Matt Dillon et Thandie Newton dans COLLISION
Le palmarès
Prix décernés par le jury présidé par le cinéaste Alain Corneau.
Grand Prix : Collision de Paul Haggis
Prix du Jury (deux prix ex-aequo) :
On the outs de Lori Silverbush et Michael Skolnik
Keane de Lodge H. Kerrigan
Prix du scénario: Transamerica de Duncan Tucker
Prix décernés en marge de ceux attribués par le jury:
Prix littéraire: Sanctuary V de Budd Schulberg
Prix Michel d'Ornano: La petite Jérusalem de Karin Albou
Prix "Coup de Coeur" de Canal+ (documentaire): Enron : The Smartest Guys in the Room de Alex Gibney
Prix Première : Reefer Madness de Andy Fickman
Prix de la Critique internationale: Keane de Lodge Kerrigan
Article de Caroline et Elodie Leroy pour le site DVDrama
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